Vous avez rejoint l’entreprise en 1997, l’immobilier vous fait-il toujours rêver ?
À votre avis ? L’immobilier est une matière en mutation permanente, au cœur de la vie des gens, et c’est là la beauté de cette industrie. C’est la façon de penser la ville, le commerce, l’urbanisme. De nouvelles problématiques émergent sans arrêt et reconfigurent notre activité, comme le changement climatique ou les transformations sociétales apparues après le Covid.
Quels sont les plus grands changements que vous avez pu observer en près de 30 ans de carrière dans le secteur ?
Pour ne parler que de l’immobilier de commerce, la « révolution digitale » en ce qu’elle englobe Internet et les nouvelles technologies, en particulier le smartphone, est sans aucun doute le changement majeur de ces vingt dernières années. Avant Internet, le seul vrai point de contact entre la marque et un consommateur potentiel était le magasin physique. Aujourd’hui, les marques se créent d’abord sur Internet, ce sont les fameuses Digital Native Vertical Brands, et vont rapidement se développer dans le monde physique.
Ce changement a généré sur ces quinze dernières années une interrogation existentielle sur l’avenir du commerce physique et donc l’avenir de l’immobilier de commerce. Une interrogation balayée par la crise du Covid, qui a été un « stress test » géant pour le secteur puisque dans le monde entier le commerce physique a été totalement fermé pendant plusieurs mois.
Certains observateurs prophétisaient, aux vues de l’explosion du commerce digital, que c’était la fin. Bien au contraire, à l’issue de la crise sanitaire, on a vu les visiteurs réinvestir massivement le commerce physique, et en particulier dans nos centres commerciaux, qui au-delà d’être des lieux de commerce sont des lieux de socialisation. Nous accueillons 900 millions de visites par an dans le monde, et les chiffres d’affaires ont progressé par rapport à l’avant Covid. Le commerce physique est en réalité la pierre angulaire de la performance globale des commerçants ; il n’y a plus de question sur sa pertinence.
Internet est un accélérateur et le client est omnicanal. Nous avons été un des pionniers dans l’omnicanalité et nous continuons à innover dans cette voie en favorisant par exemple le développement du « click and collect » dans nos centres. C’est ce que veulent les consommateurs et c’est ce que recherchent les enseignes.
Les centres commerciaux sont par définition des produits uniques car grand public et gratuits. En quoi cela impacte la façon dont on conçoit ces lieux ?
La première raison de venir dans un centre commercial, c’est son offre, que dans d’autres secteurs on appellerait « contenu ». Nous sommes en réalité des producteurs de contenus ! Nous travaillons donc beaucoup avec nos équipes marketing et commerciales sur les grandes tendances, les nouveaux concepts, les attentes du client final et celles des commerçants afin d’adapter « le contenu » mais aussi « le contenant ».
Ainsi, par exemple, avec l’avènement de la « génération Z » dont plus de 70% nous dit apprécier les centres commerciaux car ils les considèrent comme des lieux de socialisation, nous travaillons à créer des espaces plus accueillants, mais surtout instagrammables. Pour eux, la socialisation passe notamment par le partage sur les réseaux sociaux.
Quels liens entretenez-vous avec les acteurs publics, à commencer par les collectivités, dans le sens où vous détenez de véritables morceaux de villes ?
URW est un acteur des grandes métropoles en Europe et aux Etats-Unis. Il ne peut pas y avoir de développement urbain sans une étroite collaboration entre le privé et le public. Nous attachons une grande importance à la qualité de nos relations et de nos échanges avec l’ensemble des parties prenantes de nos actifs.
Les villes, le commerce, la société en général, sont en mutation permanente. Il ne peut y avoir d’adaptation sans échanges, débats et finalement décisions. En région parisienne par exemple, nous travaillons en étroite collaboration avec les acteurs publics, les riverains et l’ensemble des usagers pour faire évoluer les règlements d’urbanisme et permettre l’adaptation d’un centre commercial à l’évolution du réseau de transports en commun. L’enjeu est de permettre à la ville et au centre commercial de transformer des espaces de voirie et de parking en d’autres usages afin de régénérer la ville sur elle-même.
Dans plusieurs pays vous commencez à développer des logements, bientôt en France ?
Nous en avons déjà réalisé en France, certes à petite échelle, avec 62 logements sociaux aux Ateliers Gaîté, à Paris dans le quartier de Montparnasse. Demain, on pourrait imaginer du logement à Westfield Rosny 2 ou dans le projet Triangle, dont une partie est potentiellement transformable en logements.
Ailleurs en Europe, nous avons déjà développé du résidentiel, dont un programme d’ampleur comportant 1200 logements à proximité immédiate du centre commercial Westfield Stratford City.
Et les bureaux, vous êtes propriétaire de plusieurs immeubles à La Défense, stop ou encore ?
Il y a deux sujets aujourd’hui : taux de vacance et obsolescence. Mais on oublie toujours que l’immobilier c’est aussi une question de cycles. Je crois au bureau, et je crois en particulier au quartier de Paris La Défense. Il y a un travail colossal qui a été fait ces 10 dernières années. Comme me le disait un jour le Directeur Groupe de l’immobilier d’une grande compagnie d’assurance américaine, la Défense est le seul exemple d’urbanisme sur dalle réussi au monde.
Et il est vrai que La Défense possède des atouts considérables, à commencer par son excellente déserte en transports en commun : on ne pourra jamais recréer d’équivalent. L’arrivée de la gare du RER E qui fera le prolongement jusqu’au Mantois renforcera le dynamisme du quartier et sa centralité. On le constate déjà, avec le retour d’entreprises qui étaient implantées en périphérie, et qui reviennent dans le quartier. À l’instar d’Arkema, qui quitte Colombes et vient s’installer dans notre immeuble de bureaux Lightwell.
Cette desserte en transports en commun exceptionnelle a qui plus est une valeur environnementale, que nous avons mesuré. Le hub de transport permet d’économiser 1 000 kg de CO2/m² sur le bilan d’un immeuble durant son cycle de vie.
Vous avez dirigé le groupe aux États-Unis, berceau des tours, qu’est-ce qui vous a marqué là-bas ?
Ce qui est très réussi aux États-Unis, c’est que les tours sont connectées aux niveaux historiques de la ville. Nous sommes marqués en France par Le Corbusier et son architecture sur dalle qui a déconnecté le niveau de référence de la tour du niveau historique de la ville.
Les derniers projets de tours, à l’image de Triangle, sont intéressants à ce titre car ils vont contribuer à changer la perception des tours. Notre projet en partenariat avec AXA IM Alts, en cours de construction dans le quinzième arrondissement de Paris, est un exemple de reconquête de la ville sur la ville, en recréant un front urbain dans une rue qui n’était qu’un axe de transit.
Comment l’immobilier peut-il tendre vers la neutralité carbone ?
URW a été pionnier dès 2016 en matière de neutralité carbone. Notre plan RSE baptisé alors « Better Places 2030 » avait pour objectif principal de réduire de -50 % l’empreinte carbone du Groupe d’ici à 2030. En octobre 2023, nous avons présenté une évolution de notre feuille de route RSE en nous fixant un objectif ambitieux de réduction de nos émissions carbone de scope 1 et de scope 2 de 90% d’ici 2030, et sur l’ensemble des scopes d’ici 2050. Pour les scopes 1 et 2, nous neutraliserons les 10 % d’émissions résiduelles au travers de programmes de protection et de restauration de la biodiversité pour lesquels nous sommes déjà engagés.
Sur le scope 3, qui inclut notamment les opérations de nos enseignes ou encore le transport des visiteurs, nous avons un plan d’actions détaillé. D'ici à 2030, notre hypothèse est que 80 % de la consommation d'énergie des locataires sera couverte par de l'énergie renouvelable. Cela inclut notre capacité à leur fournir directement de l’électricité verte lorsque cela est possible. Sur le transport des visiteurs, près de 54% de nos visiteurs viennent déjà en utilisant des moyens de transport durable. Cela se compare à une moyenne du secteur de 24 %. Notre objectif est d’atteindre 60% en 2030. Pour ce faire, nous soutenons activement les villes dans le développement d’infrastructures de transport en commun par la formalisation d’un plan de mobilités durables sur chacun de nos actifs, c’est ainsi que nous avons pu accueillir le métro sur notre site de Fisketorvet à Copenhague.
Et pour ce qui se passe au sein de vos centres, dans les magasins ?
En matière de RSE, l’accès à l’information se révèle souvent compliqué. C’est déjà le cas pour nous en tant que foncière, alors imaginez pour le consommateur ! Nous avons donc créé le « Sustainable Retail Index » (SRI), un indice qui permet d’évaluer les engagements et les performances des enseignes au niveau de l'entreprise, des produits et des opérations en magasin. On a travaillé avec GOOD ON YOU, une agence australienne spécialisée dans l'évaluation de la durabilité des marques.
Avec le SRI, nous sommes ainsi en mesure de déterminer le niveau d’engagement dans la transition environnementale des enseignes présentes dans nos centres. Notre ambition avec le SRI est d’établir les nouveaux standards qui guideront la transition du commerce vers un modèle plus durable. Nous ne faisons pas de « name and shame », nous essayons d’apporter la transparence de l’information. Pour accompagner le consommateur d’une part, mais aussi les enseignes, qui veulent s’installer dans des espaces durables qui reflètent leurs propres ambitions, et être entourées d'autres enseignes aussi engagées qu’elles.
Pour terminer, quelles sont les qualités que vous recherchez chez vos futurs employés ?
Avoir de l’énergie, de la curiosité, croire en l’avenir, l’envie de challenger le statu quo pour faire bouger, avec l’immobilier, les lignes qu’elles soient architecturales, urbaines, commerciales, environnementales, sociétales ou autres. L’industrie immobilière est une industrie d’avenir !