Comment les étudiants de Paris-Malaquais perçoivent-ils le secteur de l’immobilier ?
Les étudiants de Paris-Malaquais, comme beaucoup d’étudiants en école d’architecture, ont une perception assez lointaine et floue de l’immobilier. Ils ne connaissent pas très bien le secteur et ont peu d’enseignements qui le concernent directement. Spontanément, je dirais qu’il leur inspire une forme de méfiance car ils l’associent à des préoccupations très financières, à une industrie qui recherche essentiellement le profit au détriment de l’écologie, qui est une question très centrale pour eux.
Comment créer plus de confiance ?
La première chose c’est de permettre la connaissance réciproque des mondes. Le métier d’architecte est de « faire projet ». C’est le cœur de notre enseignement. Or on fait toujours projet dans un contexte. C’est la prise en compte d’un maximum de paramètres : les besoins de l’usager, la topographie, le territoire dans lequel on s’intègre et, bien sûr, le facteur économique qui permet de mener un projet à bien. C’est pourquoi il faut renforcer les ponts entre les écoles d’architecture et le monde de l’immobilier afin que nos étudiants puissent mieux appréhender les réalités économiques, industrielles, entrepreneuriales de la ville. À Malaquais nous le faisons notamment en participant, aux côtés de l’Ecole des Ponts et Chaussées, à la chaire d’économie de la transition écologique urbaine hébergée par l’Institut Louis Bachelier.
Quels sont les types de projets qui aujourd’hui attirent le plus vos étudiants ?
La grande majorité des projets qu’ils développent dans notre école sont des projets de réhabilitation et de transformation de l’existant. Nos étudiants ont une très forte réticence à envisager la construction neuve qui ne correspond pas à leur idéal écologique. Partir d’un ensemble bâtimentaire existant et le retravailler, en ajoutant un minimum de matière, c’est au cœur de ce que font les étudiants aujourd’hui. Ce sont souvent des projets avec une utilité sociale assez immédiate. Ils ont un fort intérêt pour le logement ou les équipements collectifs, par exemple. À l’inverse, ils ont très peu d’appétence pour les bureaux… ou alors pour les transformer en logements.
Y’a-t-il encore chez eux une appétence pour « l’acte de construire » ?
La jeune génération éprouve une éco-anxiété extrêmement forte. C’est même parfois un peu inhibant car il y a presque de la culpabilité qui accompagne le fait de bâtir. Il faut croire qu’il y a néanmoins une forte motivation pour faire des études d’architecture, car nous avons beaucoup plus de candidats pour intégrer notre école qu’auparavant. C’est lié au fait que l’architecture est associée à la question plus large de l’habitabilité du monde. Comment utiliser moins de matière ? Comment consommer moins de carbone ? Comment mieux protéger la biodiversité ? Ils sont convaincus que les architectes ont des réponses à ces questions et peuvent contribuer à un monde meilleur. Dans leur approche, ils ont une vraie attirance pour le « faire », pour le travail à la main, directement sur les matériaux. Mais ils sont également très à l’aise avec l’IA, avec les outils numériques qui vont profondément transformer les pratiques dans l’architecture. Ma génération vit cette révolution technologique comme un défi, voire comme une menace, pas eux :c’est pleinement intégré dans leur référentiel.
Selon vous, le monde de l’immobilier est-il suffisamment à l’écoute des architectes ? Leur laisse-t-il suffisamment de place pour exprimer leurs talents ?
Il y a parfois le sentiment que l’architecte est réduit à une portion congrue dans la grande chaine des acteurs de l’immobilier. En aval et en amont, il est un peu écrasé et assez peu reconnu sur le fond et même financièrement. La part qu’il capte dans la valeur ajoutée d’un projet est parfois minime. Il faut que ces mondes apprennent à se connaître. Les architectes sont peut-être un peu restés dans leur tour d’ivoire. De son côté, le monde de l’immobilier n’était sans doute pas tellement plus ouvert. Il y a besoin de moments de partage. Dans l’architecture, il y a une dimension intellectuelle et réflexive qui peut apporter beaucoup, notamment pour la transition écologique du secteur. L’architecte peut être celui qui empêche de tourner en rond, qui trouve des solutions non-standardisées.
Il y a un désamour pour le « neuf » et le contemporain, quelles en sont les raisons ? Comment recréer une esthétique du neuf ?
Nous ne sommes plus dans un monde où des esthétiques peuvent s’imposer et devenir dominantes. Nous sommes sortis de ce qu’on a appelé la modernité et il n’y a plus aujourd’hui de canons universels. Cela n’empêche que pas que la question du beau revienne, et c’est très bien. On se réapproprie le triptyque de Vitruve selon lequel tout édifice doit présenter les trois qualités de firmitas, utilitas, venustas — autrement dit « solidité, utilité et beauté ». Les critères de la nouvelle esthétique sont liés à l’écologie avec une attention particulière pour la sobriété. Notre regard contemporain n’aime plus les éléments dispendieux. La question de l’intégration dans l’environnement est tout aussi importante. Chaque nouveau bâtiment doit dialoguer avec le bâti et l’histoire du lieu. On est sorti de l’idéal de la table rase, du « grand geste » architectural spectaculaire, expression de la subjectivité triomphante du constructeur. L’architecte doit pour ainsi dire se fondre dans le paysage… Cette exigence éthique est porteuse d’une esthétique particulière, loin du prométhéisme de la période moderniste. Qu’on le déplore ou non, il y a dans l’opinion publique moins d’appétence aujourd’hui pour le neuf, voire pour le nouveau. On le voit dans le domaine du patrimoine : je ne suis pas sûr que la pyramide du Louvre serait encore possible aujourd’hui. Après l’incendie de Notre-Dame, le débat sur l’édification d’une « flèche contemporaine » a vite été refermé, au profit d’une « reconstruction à l’identique » …
Comment percevez-vous un sommet comme le MIPIM ? Y a-t-il une place pour les jeunes architectes ?
Bien sûr et d’ailleurs nous travaillons avec les organisateurs pour permettre aux étudiants de participer au MIPIM. C’est tellement énorme, il y a tellement de choses à apprendre. Les étudiants vont voir « la vraie vie » du secteur de la ville, qui a des dimensions un peu traumatisantes parfois… mais leur métier se confrontera à ces réalités. Nos étudiants incarnent une nouvelle génération. La manière dont ils anticipent les évolutions à venir doit aussi être intégrée par les dirigeants immobiliers. « Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau » disait Tocqueville. On sent la volonté de ne plus tourner en rond. Il y a une ouverture et la prise en compte de la réflexion de jeunes architectes sur le cadre bâti peut aider les promoteurs et tous les acteurs du secteur à changer leurs logiciels. Les écoles d’architecture sont des lieux d’exploration de nouveaux possibles. Le MIPIM peut apporter un décloisonnement nécessaire.