Peut-on être militante et travailler dans le monde de l'immobilier ?
Oui mais c'est une question difficile. Je suis certaine qu'il faut faire ce métier avec conviction et engagement. Pour autant, être militant, ça veut dire qu'on milite très concrètement, qu'on porte une cause, ce qui peut amener à des positionnements difficiles dans un cadre professionnel. Je crois malgré tout que les gens qui ont un impact, qui sont talentueux, qui ont une manière durable de fabriquer la ville, sont portés par une volonté, des valeurs, des idées et qu’ils se battent pour quelque chose de plus grand que leur seul intérêt.
Qu'avez-vous envie de dire aux professionnels de l'immobilier face au problème d'accès au logement ?
Il y a deux problèmes à traiter de front : l'accès au logement et la lutte contre le mal-logement. Pour le premier, le problème est en partie dû au fait que le logement disponible est mal réparti sur le territoire national. Celles et ceux qui recherchent un logement se retrouvent en concurrence avec des locations touristiques, des bureaux… Mais c'est aussi le fait que malheureusement, le logement est encore considéré comme un simple produit à écouler. Les professionnels de l’immobilier doivent en prendre conscience. Ils doivent développer des programmes spécifiques : pour les primo-accédants, les étudiants, les séniors, les personnes aux situations les plus précaires. Dans cette période de crise, notamment chez les promoteurs immobiliers, des choses intéressantes émergent. Quelques promoteurs se disent ‘je vais repartir des aspirations et des niveaux de revenus de ma clientèle et je vais essayer de voir ce que je peux produire pour mieux répondre à leurs besoins’. Ceux qui font ça sont en train de commencer à sortir de la crise, pendant que d'autres continuent à penser que c'est un produit, et que ce produit doit trouver son marché.
Et sur le mal logement, je pense que c’est un peu plus complexe. Déjà parce que répondre à la question du mal-logement impose la mobilisation de l'État, des collectivités locales, des promoteurs privés et des bailleurs sociaux. Les promoteurs ont une partie de la solution contre le mal-logement en produisant des logements en accession qui soient à des prix qui correspondent aux revenus des Français. On peut aussi se dire une chose, et ça moi j'y crois beaucoup, c'est que plus on produit de bâtiments durables, plus on protège les futurs acquéreurs des dégradations, des risques d’indécence voire d’insalubrité sur le long-terme.
On parle de plus en plus de partenariat public-privé, est-ce une expérience nouvelle ou y avait-il déjà cette culture de faire ensemble quand vous étiez ministre ?
Le sujet n'est pas tant le partenariat public-privé que l'équilibre entre le public et le privé. Pour que ce partenariat fonctionne, il faut qu'il fonctionne quand ça va bien et quand ça va mal. Les efforts doivent être mutualisés et portés par tout le monde. Les Jeux Olympiques sont la preuve d’un grand succès de collaboration public-privé mais je pense à des objets plus petits comme Morland Mixité ou à la rénovation des hospices de Lyon.
Qu'est-ce qui poussera vraiment, au-delà des simples discours et engagements, les acteurs traditionnels de l'immobilier à faire leur transition écologique et sociale ?
S’ils veulent poursuivre leur activité ils n’auront pas le choix. Sans parler d’être ultra radical et en avance de phase, ils devront engager leur transition de manière résolue et progressive. Celles et ceux qui se disent ‘on s'en fout, j'ai le temps, je ne suis pas concerné par la décarbonation, je ne suis pas concerné par le confort d’été, je ne suis pas concerné par le trop ou pas assez d'eau’ n’existeront plus dans quelques années. Les collectivités ne voudront plus travailler avec ces acteurs dans les années qui viennent. Les habitants acquièrent une maturité parfois beaucoup plus forte sur ces enjeux-là que les professionnels, notamment ceux qui ont été victimes ou témoins de catastrophes comme les inondations.
Y’a-t-il des méthodes ou des projets qui vous inspirent particulièrement ?
J’y reviens, mais les Jeux Olympiques sont un formidable cas d’école. Un établissement public, une procédure simplifiée ou plutôt accélérée, des engagements pris avec les opérateurs pour qu'ils livrent en temps et en heure et ça fonctionne ! Je trouve qu'être capable, même pour des projets beaucoup plus petits, de travailler comme ça, est très enthousiasmant. J’aime beaucoup également citer le programme de rénovation urbaine à Nancy porté par Alexandre Chemetoff et son équipe. Il y a eu de la démolition, reconstruction, réhabilitation, création de voirie, le désenclavement d'un quartier, une proposition de renaturation bien en amont et ce il y a déjà plus de 15 ans.
Quelle est votre histoire avec le MIPIM ?
J’y viens depuis 2017 parce qu'en 2016, en tant que ministre, j'avais -à sa demande express- cédé ma place à Emmanuel Macron. Depuis, je suis revenue chaque année, notamment pour écouter. À la différence du Congrès HLM que nous organisons avec l’Union sociale pour l’habitat, je viens au MIPIM sans d’autres engagements que celui de rencontrer tous les acteurs de la ville : aménageurs, élus locaux, opérateurs, de très grands noms de l’architecture. Ce « temps libre » de la discussion avec ces partenaires est une sorte de luxe pour moi… J’ai eu également la chance ces dernières années d’assister à de nombreuses présentations de grands projets par les métropoles, françaises et internationales, ce qui est riche et inspirant. J’y fais beaucoup de rencontres qui me permettent de me nourrir intellectuellement.
Quels messages porterez-vous lors du prochain MIPIM à la fois au titre de l’USH, mais aussi de l’Université de la Ville de Demain (Fondation Palladio) ?
Ce qui est important pour moi, c'est de rappeler qu'il faut continuer à être engagé sur les enjeux de fabrique de la ville, du logement et de répondre aux besoins de nos compatriotes. Je vais continuer à défendre les enjeux environnementaux et rencontrer des acteurs qui œuvrent pour anticiper les conséquences du dérèglement climatique. J'essaie de voir les choses de manière très positive, je suis toujours orientée ‘solutions’. Je pense qu’au moment du Forum des Élus notamment, je dirai que la fabrique de la ville, c'est un sujet très politique, qu’il faut continuer à croire à ce qu'on fait, à l'intérêt de le faire.
On dit que vous êtes fan de rugby, qu’est-ce que vous retirez de ce sport pour votre métier ?
C'est le ‘comment faire ensemble’. C'est ça le rugby. C’est une volonté de faire en commun et une nécessité d'avancer ensemble. C'est mettre des talents individuels au service du collectif, dans la grande diversité des savoir-faire. Mettre un essai, bien souvent, ça ne se résume pas à la course spectaculaire des trois-quarts ailes, ça part de loin, ça se construit dès les premiers mètres.